Études prospectives et design fiction sont taillés pour susciter le débat au sujet d’un hypothétique futur résultant d’un changement de grande ampleur. Leur dimension scénaristique répond à des règles d’écriture strictes afin d’instaurer un univers crédible et de conserver l’engagement du lecteur.
Exemple de ce type de fiction ? « 2040, année de tous les records pour la formation », un magazine fictionnel conçu par Centre Inffo, téléchargeable gratuitement. Il sera présenté lors de l’Université de la formation professionnelle à Cannes.
Quelles conséquences aura l’essor de l’intelligence artificielle (IA) sur la formation continue des travailleurs européens à l’horizon 2040-2045 ? C’est la question sur laquelle planche le Cedefop (Centre européen pour le développement de la formation professionnelle) depuis 2024. Quatre scénarios ont déjà émergé, du plus optimiste (l’IA, source de création d’emplois et de retombées positives dans toute l’Europe) au plus désastreux (l’IA perturbe les sociétés et les économies). Pour élaborer cette étude prospective stratégique [[Publication des résultats prévue pour mi-2025 et en 2026.]] et parvenir à ses conclusions, les équipes ont combiné “recherches documentaires approfondies, études de cas et entretiens avec les experts”, indique Lidia Salvatore, à la tête des travaux. Pas de projections farfelues, donc, mais un matériel de base solide et ancré dans le réel.
L’objectif est de “comprendre les changements et les perturbations qui se produiront (…) pour déterminer les compétences et les formations nécessaires, et réagir efficacement”, précise Jasper Van Loo, coordinateur du département Formation professionnelle et compétences au Cedefop. “Cette étude prospective stratégique explore les relations complexes entre le marché du travail, les tendances sociétales, les facteurs environnementaux, les parcours d’apprentissage, ainsi que la manière dont ces facteurs peuvent influencer les trajectoires d’action nécessaires pour parvenir à une vision commune et globale du développement des compétences permanentes”, ajoute Lidia Salvatore. Pas à son coup d’essai, le Cedefop a déjà usé de la démarche sur la thématique de la transition verte ou de la mise en œuvre de l’agenda vert et numérique européen.
Rechercher de l’engagement
Cousin de l’étude prospective, le genre du design fiction s’inscrit à la croisée de la créativité et des sciences humaines et sociales. Olivier Wathelet, docteur en anthropologie, cofondateur du collectif Making Tomorrow, se montre nuancé sur le rôle joué par les scénarios élaborés à la demande de clients – collectivités ou entreprises. “Ce sont des objets fictionnels intermédiaires. Ils ne servent pas à prendre des décisions, mais initient une réflexion, un débat. Nous créons volontairement des fictions destinées à être dépassées.” Le choix du registre de la science-fiction agirait “comme un miroir grossissant de nos peurs et projections” en plus d’être “un territoire très créatif”.
Outre l’aide à la décision, les clients peuvent rechercher de l’engagement (celui de collaborateurs au sujet d’une problématique donnée), une feuille de route (je fais de l’innovation et je veux être dans l’innovation de rupture, quelles étapes pour y parvenir ?), ou encore l’identification de failles dans leur organisation (identifier les limites de la structure, anticiper les risques et comment s’y préparer).
Dans tous les cas, l’exercice doit respecter un équilibre en matière d’écriture. Une surcharge de détails dans l’univers imaginé porte le flanc à la critique, remet en cause sa crédibilité. Point d’angélisme non plus. Pour que la cible puisse se forger une opinion valable sur un hypothétique futur, aspects positifs et négatifs doivent cohabiter dans la production finale (magazine, vidéo, etc.).
Les limites de l’exercice
Le design fiction a ses limites. Olivier Wathelet les énumère : “La première, c’est qu’il s’adresse à des problématiques très fortes, comme l’IA dans la formation, des changements de grande ampleur. Si votre logique est de développer une nouvelle offre pour demain, le plus simple est d’adopter une démarche plus rapide.” Deuxièmement, le design fiction “va chercher les intelligences émotionnelles, un rapport à la culture populaire, à la science-fiction. Certains publics n’y sont pas sensibles”. Enfin, la troisième limite, c’est “l’effet de mode, une tendance à mettre du design fiction à toutes les sauces. Avec un risque de tordre la méthodologie” et de produire des résultats à la qualité douteuse. Un constat applicable aux études prospectives.
Autre barrière, le coût d’un tel projet, pas accessible à toutes les bourses. Chez Making Tomorrow il faut compter entre 50 000 et 60 000 euros, voire plusieurs millions pour les plus gros projets (comme la “Red Team Défense” du ministère des Armées) et plusieurs mois de travail. “Nous assurons aussi des missions d’accompagnement, de soutien méthodologique ou de coaching, auprès de structures plus petites comme des associations. Cela réduit pas mal les frais”, rassure-t-il.
Lors de l’Université d’hiver de la formation professionnelle, jeudi 23 janvier à Cannes, un atelier animé par Centre Inffo débattra des futurs de la formation à l’horizon 2040. Il s’appuiera sur le magazine fictionnel Skills mag, dont voici la présentation:
Skills MagUn exemple de design fiction : Skills Mag invite à voyager dans des futurs imaginaires de la formation continue. Il a été produit dans le cadre d’un projet Erasmus+, “Into-CVET 2040”, par Centre Inffo, l’INFPC (au Luxembourg), le cabinet autrichien de recherche 3S et le collectif Making Tomorrow. Le magazine explore trois grands thèmes : les technologies du développement des compétences (Skills tech), les professionnels de l’accompagnement et de la formation (Skills pros), et les systèmes de formation sous l’angle de leur financement et dimension européenne (Skills org). Il invite à voyager dans des futurs imaginaires de la formation continue. Même ses publicités sont imaginaires. Bienvenue en 2040 ! Skills Mag 2040 : un magazine de fictions pour débattre de l’avenir |